Article rédigé par : Gérald Gurtner, Démostalie
Dans une société individualiste, la capacité à exister aux yeux de l’autre est directement liée à notre capacité à nous faire entendre. Certaines personnes, celles qui ont perdu leur assurance, leur dignité, et leur capacité à projeter leurs émotions, se voient donc privées de représentation et cessent, pour tous les autres, d’exister au sein du groupe. Le projet « Je vois ce que tu dis » est parti du constat que dans la société moderne, certaines personnes ont du mal à faire porter leur voix, et qu’ils rejoignent ainsi une cohorte d’ »invisibles », souvent ignorés des mondes médiatique et politique.
Le projet avait donc pour ambition de représenter physiquement des voix perdues, pour leur redonner une visibilité plastique, et ce faisant, de pouvoir restaurer la confiance et la dignité de certaines personnes au travers d’un processus créatif scientifique. Durant plus de deux ans, l’association Démostalie a rencontré ceux qui avaient perdu leur voix. Grâce à l’aide du Foyer Notre-Dame des Sans-abri, les membres de Démostalie ont participé avec ces personnes à un processus de co-création d’une œuvre d’art, en les rencontrant régulièrement et en les associant au maximum à toutes les décisions liées à cette œuvre.
L’œuvre en elle-même a été pensée comme une représentation physique de la voix. Ainsi, les voix des personnes participantes ont d’abord été enregistrées, certains déclamant un poème, d’autres une remarque philosophique, ou encore une phrase banale dont la sonorité plaisait. À l’aide d’une transformation mathématique (transformée en ondelettes), le timbre de la voix a été extrait, puis représenté en 3D. Cette représentation a ensuite été imprimée et collée sur un support, avec les autres éléments de la composition (photo du haut). Le seau ainsi que les mains ont été suggérés pour représenter la parole versée et recueillie.
En parallèle à la conception de cet objet, l’association a développé un prototype d’imprimante 2,5D (photos du bas). Le procédé est unique au monde et utilise de la cire fondue qui se dépose peu à peu sur une surface plane. La nature visqueuse de la cire permet un dépôt « flou », qui entraîne une approche plus analogique du processus d’impression. Cela ouvre de nouvelles perspectives de créations plus artistiques, plus organiques.
L’œuvre, l’imprimante et la démarche ont été présentées à la journée mondiale du refus de la misère le 17 octobre 2018 à Lyon. Cette journée a été suivie d’un atelier au labo NRV, à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon et aux Subsistances, qui a réuni des personnes d’horizons très différents, incluant des artistes, des scientifiques, des techniciens, des personnes travaillant dans l’économie sociale et solidaire et des personnes en situation de précarité. L’atelier a vu la présentation du projet, mais aussi l’expérience de techniques interactives pouvant servir de support artistiques (interactions capacitives, transmission acoustiques par solide). L’atelier a débouché sur une multitude d’idées liées à la voix, dont certaines vont être cristallisées au sein du nouveau projet de Démostalie : Polyphonies Intimes.
Pour plus d’informations, veuillez consulter le site www.demostalie.fr.